Le travail de Bernard Szajner n’aurait pas toute sa portée sans la relation singulière au temps qu’il entretient. Si par l’utilisation des technologies les plus perfectionnées dans la réalisation de ses installations, son œuvre se nourrit de notre temps, elle est néanmoins riche de la mémoire d’un autre temps, un temps révolu « lorsque la A était un Aleph » et qu’il « portait en lui une multitude de significations avant de sombrer dans le lourd sommeil de l’oubli » écrit-il à propos de l’alphabet phénicien qu’il affectionne. Du temps qui se fait rythme mathématique dans l’alternance du mètre 5-7-5 de Haïku, au temps impliqué dans la mémoire des langues mortes de Inde Deus abest et des anciens alphabets, ou dans la présence d’œuvres d’art ancien alimentant son travail, au temps lié à la perception de ses œuvres impliquant une certaine durée, jusqu’au questionnement anxieux sur le devenir du monde où disparaissent les anciens repères humanistes si chers à l’artiste, le temps n’arrête pas d’interpeller son travail. Bernard Szajner peut alors exprimer dans L’absurdité moins une seconde, le vœu qu’il soit donné aux hommes la possibilité d’une seule seconde pour se racheter de leur course vers le néant.

Juste en face, un curieux objet s’agite et suscite notre intérêt. Cet intrigant cône rouge duquel un faisceau lumineux se meut selon un programme aléatoire est le Haïku de Szajner. Un bel hommage technologique rendu aux courts poèmes japonais.

La vie, la mort, la géométrie, les mathématiques, comme les calculs sur le nombre de syllabes dans Haïku, l’infiniment grand et l’infiniment petit approchés avec le même intérêt, il y a chez Szajner un côté pascalien indéniable. L’homme y est un roseau, comme ces herbes-roseaux à échelle humaine dans le Chaos. Ainsi au cœur de la genèse de Sorrow œuvre composée de deux disques situés à des hauteurs différentes représentant la terre et la lune, d’un texte écrit à la craie blanche sur un support noir et d’un miroir, Szajner écrit : « Je me suis placé au centre de l’univers et cette place me convient », et plus loin d’avouer « le plaisir immense (qu’il aurait) à en explorer la grandeur ».L’homme ce « Milieu entre tout et rien » de Pascal peut encore une fois être évoqué dans Haïku, pièce qui mesure l’étendue infinie d’une nuit sans limites aux lumières minuscules des lucioles. Haïku est une trajectoire de lignes blanches lumineuses sillonnant l’espace noir comme une écriture dont il ne resterait que le tracé délié se concentrant en des points incandescent de lumière éphémères et papillonnant comme des insectes nocturnes. Entre ces deux infinis de grandeur et de petitesse il y a l’homme qui les perçoit et s’y mesure à la fois.

Texte de Margherita Leoni Figini, historienne d’art au Centre Pompidou.

http://www.szajner.net/